TUPAC: CRUCIFIXION ET STARIFICATION

-1ère partie-

" Il ressemblait à un Ange Noir endormi". C'est ainsi qu'un témoin décrit le dernier Tupac. Celui qui n'avait plus qu'un poumon, quatre imapcts sur sa carrosserie caramel et quelques heures à vivre. Dans le ciel de L.A, des balles d'hommage essayaient de faire pleurer le soleil. Sur le net, geignarderies et sales vannes s'échangeaient. La messe était dite. On pouvait enfin charrier Shakur. Le producteur Marion "Suge" Knight venait de tout perdre. Son meilleur soldat. Le plus médiatique. Le plus vendeur. Le plus solide inventeur de concepts.

  1. A New York, on ne pavanait guère. Sean "Puffy" Combs, l'autre producteur, préparait des alibis, des réponses toutes faites. Les sincères larmes de Biggie résonnaient drôlement. Même ses plus insultés rivaux Mobb Deep jugeaient décent de retarder la sortie d'un single censé répondre à ses attaques. Game Over.
  2. Il n'y avait presque plus de Est et plus du tout de West. Dre venait de lâcher Death Row, emportant dans sa fuite ses secrets de fabrication. Suge bientôt irait en taule, enfin, impliqué dans l'assassinat de Biggie. Ce qui permettrait à certains mythos de voir en Puffy l'unique survivant, le vrai diable de toute cette histoire pathétique (attention j'vous confirme que je n'aime pas Puffy, je le hais même!!!).
  3. On ne refait pas les rêveurs. Quand on est démuni comme un noir américain, on ne peut pas faire grand chose que de se rêver maître d'un destin de film. Car il s'agit bien d'un film comme tout ce qu'il se passe en Amerique, film réalisé depuis quatre siècles par les blancs avec en seconds rôles les noirs.
  4. Au-delà de l'anecdotique identité du tueur (chez les ricain, un type qui tue un noir risque au pire l'acquittement), c'est d'être noir en Amerique qu'est mort Tupac. De n'être devenu un homme seulement. Un homme tout court.
  5. A compulser ses interviews, on voit que 2Pac ne connaissait pas d'hommes, mais des niggaz. La maladie raciale est telle dans ce pays que "noir" a remplacé toute autre appellation. "Il ressemblait à un ange noir endormi"...Même aux anges, les ricains ont besoin de donner une couleur.
  6. "C'est le blanc qui crée le nègre" disait Fanon dans les années 50. En 1996, l"Amerique n'a même plus besoin de les créer. La tête farcie de rêves d'esclaves, de rêves qui les voient triompher d'une armée de flics, en guerriers invincibles d'une guerre perdue depuis le début, puisqu'elle se déroule sur le terrain choisi par l'adversaire...
  7. Complètement déconnectés d'une réalité où un noir qui a réussi est toujours un rappeur, un acteur ou un sportif. Mais jamais quelqu'un de vraiment pris au sérieux. Tupac savait, ou on moins sentait mais comment quitter le déguisement?

 

-2nd partie-

  1. Ce n'est pas un jeu de mots: on naît noir en Amérique, on ne le devient pas dans le regard d'un blanc. Naître noir en Amérique, ça veut dire par exemple n'avoir pas de père et venir au monde dans un quartier où les blancs ne vont jamais. De ce point de vue là, Tupac est un vrai noir ricain...
  2. Transbahuté toute son enfance, d'un ghetto à l'autre. Brooklyn, Bronx, en passant par Harlem où, inscrit au théâtre par sa mère Afeni, Tupac a pu un moment sortir de sa peau. Mais sans papa, avec un beau-père junkie qui fait fumer sa mère, comment ne pas devenir ce qu'on prétend que vous êtes?
  3. En juin 86, Afeni Shakur emmène son bambin à Baltimore. En même temps qu'il suit des cours d'art dramatique, Tupac rencontre des blancs, écrit ses premiers raps. Et devient MC New York. Le verbe est dans le fruit.
  4. Deux ans plus tard, Tupac quitte la côte Est. Direction Californie. Pas celle des plages de Malibu. Celle de Marin City, qu'on appelle là-bas fièrement "The Jungle". Mutulu, le beau-père rattrapé par son avenir, écope de 60 ans de prison. Les dés pipés sont jetés. Tupac intègre Digital Underground en tant que roadie-danseur-rappeur. En tournée, il apprend que sa mère cracke aussi.
  5. C'est dur d'être un noir en Amérique...
  6. Si Tupac est mieux en noir et blanc sur les photos, ce n'est pas seulement pour les douteuses raisons esthétiques. Les noirs d'Afrique, il faut leur rendre les couleurs de leur continent. L'Amérique n'a pas de couleurs. Elle est en noir et blanc. Malcolm X appelait noir "tout ce qui n'est pas blanc". Mais on ne peut pas éternellement relire sans comprendre l'exemplaire parole. Tupac disait qu'il n'allait pas toute sa vie "sucer la bite de Malcolm ou celle de Jordan". Il doit bien y avoir une autre voie, pensait-il.
  7. Entre la sainteté assassinée et le sport rémunéré.
  8. En novembre 1991, il enregistre "2Pacalypse Now", son premier album. Sa voix soyeuse impose son flow et parvient à faire oublier aux nanas le flot de saloperies dont il les pare. C'est le début de la très grande histoire d'amour entre les oreilles féminines et cette langue un peu soul. Tupac sent que cest par et dans les femmes qu'on devient homme. Il n'aura cesse de leur parler, de leur expliquer qu'il ne sait pas comment leur dire... Enre les chants d'amour à la mère, les hommages aux "single mothers" et les bitches. Plus que son génie verbal, que son sens de l'incantation, son théâtralisme un peu mièvre et son originalité, c'est peut être ce que les autres rappeurs lui ont le plus envié. Pas ses succès féminins, mais l'étroite relation que Tupac n'a jamais cessé d'entretenir avec tout ce qui est féminin. Ce goût de la séduction, cette obligation de séduire.
  9. -3ème partie-
  10. Cette même séduction qui l'ammène à la comédie et au rôle du Bishop dans "Juice" en 1992. Là, tout le monde est K.O. Tupac Shakur est un très grand acteur. On le vérifiera dans "Gridlock'd", "Above The Rime". Même dans l'épouvantable "Poetic Justice". Notons au passage que la vie ne se prive jamais de rappeler à Tupac qu'il est noir. Janet Jackson, sa partenaire dans le film se serait-elle permise de demander à Harrison Ford de pratiquer un test du sida avant une scène de baiser? Les limites de la fameuse, de la si blanche "fraternité noire".
  11. "Il ressemblait à un ange noir endormi..." Ce n'est pas l'avis du vice-president Dan Quayle, qui juge que "2Pacalypse Now" n'a pas sa place dans la société (blanche). "Tu peux sortir du ghetto, mais le ghetto ne sortira jamais de toi" dit-on souvent en Amérique. L'album suivant par son titre "Strictly 4 My Niggaz", finit de le demontrer. Tupac ne rappe plus pour tout le monde. Le piège ricain fonctionne à merveille. Tupac n'est plus un homme ne devant de comptes qu'à Dieu et à lui même (même si il chantera plus tard "Only God Can Judge Me"). Il est un noir qui doit prouver aux noirs que malgré le succès, il est toujours un noir. Avec des idées, des ambitions et des actes de noir. Tracy Robinson, proche historique, dira même "Il était un acteur. Je n'ai pas l'impression qu'il était vraiment un bandit. En tant qu'homme noir, vous devez jouer". A l'époque, on ne compte plus ses démêlés avec la justice. Parce qu'il fume dans une bagnole, parce qu'il batte la gueule d'un autre rappeur dans le Michigan...Il additionne les singleset les condamnations se multiplient. A en oublier que c'est parfois pour la bonne cause que Tupac s'attaque à des flics qu'il détestait solidement. Il faut dire qu'un flic ricain, c'est quelqu'un. Dans un de ses romans, James Bladwin en décrit un à peu près comme ceci: "Il marchait comme John Wayne. Comme s'il allait nettoyer l'univers". Il y a une "Cop Attitude" tout comme il y a une "Nigga Attitude". Le cinéma, toujours. Un flic qui tue, c'est normal là-bas. Un flic qui tue un noir, c'est deux fois plus normal. Alors, lorsqu'un soir d'octobre 93, à Atlanta, il aperçoit deux fuckin' flics hors service qui s'amusent à menacer un noir en bagnole, Tupac arrête la sienne et tire dans le tas. Ce coup là, après enquête, il s'en sortira. Il lui arrive même d'être vraiment angélique. Comme ce jour où, à Washington, il voit à la télé les parents en pleurs d'une gamine bouffée par un pit. Il bifurque. Se rend à l'hosto. Et prie avec les parents. Même les rappeurs ont une âme. Même ceux, comme dit une de ses ex, qui ne prend pas "non" pour une réponse. Difficile de dire si Tupac fut un chien avec les femmes ou non. Entre la vérité, celle qu'il raconte, celle qu'elles racontent. Toujours est-il qu'une se plaînt, fin 93, d'avoir été violée et sodomisée par Shakur et sa clique. Ca paraît si logique, si conforme à une réalité elle-même biaisée par des comportements conditionnés de part et d'autres. Au récit des frasques shakuriennes avec les femmes (assez proches de celles de Tyson), on vient à se demander si une jeune femme noire américaine envisage d'autres relations avec un noir célèbre...A part bien sûr les rapports salariés!
  12. Le problème c'est que, bien que tenu pour un bon acteur, ce genre d'affaires nuit à son image. Auprès des producteurs et, à terme, auprès de lui-même. A lire sa vie, on a souvent l'impression qu'au moment de devenir lucide, comme on boit un dernier verre ou fume un dernier blunt, pour être sûr de s'endormir, Tupac en remet une couche, repousse plus loin les limites...Pour ne jamais se reveiller tout à fait, et retrouver son cauchemard de vie, enfermé dans sa camisole de peau...
  13. -4ème partie-
  14. En attendant son procès pour viol, Tupac casse la gueule des frères Hugues, les réalisateurs de "Menace II Society", joue dans "Above The Rim", vend 2 millions de copies de la B.O, se voit accusé dans le Milwaukee d'écrire des chansons pousse-au-crime et commence à soupçonner son vieux pote Biggie de lui voler ses idées. Ce qui nous amène au 30 novembre 1994. Ce jour là, au rez-de-chaussée d'un studio new-yorkais, Tupac prend cinq balles et se fait tirer pour 40 000 dollars de clinquaillerie dorée. En sang, il monte dans le studio. Interprète les visage sidérés du staff de Bad Boy comme autant de preuves de leur implication à tous dans le shooting. Puis s'assoit, se fait rouler un join et passe quelques coups de fil...La fin de Tony Montana. Sans le bain de sang. L'alliance new yorkaise est morte ce jour là...
  15. Conscient qu’on pourrait l’accuser de vouloir, grâce à ses blessures, échapper à son procès, en plein délire paranoïaque et masochiste, Tupac quitte l’hosto dans la nuit et se rend au tribunal…en fauteuil roulant ! Ce n’est plus Scarface , c’est « Freaks ».
  16. Condamné à 4 ans et demi de prison, il sort le bien nommé « Me Against The World ». « Dear Mama » propulse le disque en haut des charts. Tupac en taule est vraiment le boss du rap. Au début de son séjour, il avouera avoir morflé. Depuis des années, il n’avait pas passé un jour sans fumer. Là il doit sans tenir au Newport (la clope des noirs ricains). Jamais il n’a paru aux siens plus concentré, plus réfléchi. Il déclare en avoir fini avec la Thug Life, sa vie de bandit. Mais n’oublie pas d’accuser Bad Boy pour la fusillade au Quad Studio. Il faut dire que parmi ses visiteurs réguliers, on voit souvent un certain Marion « Suge » Knight.
  17. « Il ressemblait à un ange noir endormi ». Un ange sur le point de vendre son âme à un démon aussi noir que lui. Impossible de tenir Suge Knight pour seul responsable de la guerre du rap. Mais à la façon de ces gosses qui dans la cour engrènent à coups de « Franchement ça m’aurait pas plu !! », il n’a jamais raté une occasion d’envenimer les débats. Pour le film que son cerveau est en train de réaliser, Tupac a besoin d’un producteur. Un vrai. Un voyou. Sur ce terrain là, Suge Knight pèse à lui seul plus que la somme des petits casiers est-ouest. C’est un Blood, mister Suge. Un Blood qui se saigne de 1.4 millions de dollars pour faire sortir l’ange noir. Tupac s’envole pour L.A. La ville des anges. Où, en quelques semaines, il enregistre le double CD « All Eyez On Me ». Définitivement convaincu d’avoir été volé à New York en plus d’avoir été shooté, il ajoute à la parano la mégalomanie et se met à voir de la guerre sainte dans ce qui n’est qu’une série de règlements de comptes entre noirs.
  18. Il faut lire sa dernière interview ! Après les anathèmes, il lance les pronostiques. Qui contrôlera le rap contrôlera l’Amérique. Rien de moins…

-5ème partie-

  1. Il se voit soldat de Suge KNight, en train de conquérir le monde! Il y a à la fois du pathétique et du grandiose dans les derniers instants de 2Pac. Avec, en background, quelques assassinats dont il feint d'avoir le contrôle. Lui qui, hors ses colossales ventes, ne participe guère à la croisade que par ses ragotages. Lorsqu'il prétend par exemple avoir baisé Faith Evans, la femme de Biggie.
  2. Knight l'engreneur continue son boulot. Et frotte ses mains pleines de dollars devant toute initiative susceptible de réchauffer le conflit. Comme cette vidéo du duo 2Pac-Snoop, où Puffy apparaît en serpent et Biggie en cochon. En 1996, Knight laisse avec plaisir Pac enregistrer l'effrayant "Hit'em Up". Ce morceau résume Tupac. Délirant, ultra doué, hystérique, haineux et surtout sublime. Sample doucereux et, crescendo, les filets de bave se transforment en mollards meurtriers. Tupac balance dans ce morceau ses dernières forces. Le final est d'une violence incroyable. On imagine les techniciens abasourdis par la transe haineuse qui s'empare des tripes de Tupac. A l'entendre dégueuler les derniers mots de la chanson, on le voit doubler de volume, léviter, ruisseler, transpirer toute sa rancoeur, toute sa haine d'humilié, transférant sur les premiers venus tout ce qu'une peau et et un système lui coûtent. Tant pis pour Biggie, Mob Deep, leurs mères et les autres. Tupac est à bout...
  3. Parce que ça ne peut plus durer. Son corps et son âme le lui disent. La fuite avant la fatigue. Lui qui disait n'avoir de problème qu'au moment de s'endormir...Après tout ça, 2Pac ne peut pas rentrer dans le rang. Accepter de redevenir un simple rapper, un producteur ou un acteur. Il ne peut plus se calmer. Au bout, il ne peut y avoir que la mort. Tupac riche et puissant n'échappe pas aux stigmates de sa condition. Tout remonte en lui. Qui pourrait lui parler, lui dire que le rôle d'un homme ce n'est pas seulement de fuir les responsabilités en engrangeant dollars et fesses? Une mère déifiée, à la gueule de laquelle on crache pour s'en libérer chaque fois qu'on insulte une femme..."Les noirs sont aussi bêtes que le monde blanc qui les conditionne"...
  4. 7 septembre 1996, Tupac est sur la route d'un autre symbole de la condition noire américaine, Mike Tyson. Le combat auquel assiste Tupac est court et fulgurant comme une carrière d'un rappeur trop doué et trop sensible...
  5. Comme un ado sortant d'un Bruce Lee, Tupac, devant la salle, savate un gars qui traîne là. Ce sont les dernières images qu'on ait de lui...ridicules et tragiques...Tupac ne méritait pas de partir sur cette fause note...
  6. Et puis une voiture blanche, quelques détonations...Quelques jours d'hosto. Fin du film. Dieu venait de rappeler à lui un ange. Mort. Noir. Et déçu...

 

Makaveli warzâCdm2001